Confinement sur l’océan

Yvan, un Alsacien de 31 ans, est membre d’équipage sur un navire de croisière français, qui comptait 310 personnes à son bord. A cause de l’épidémie de coronavirus, le bateau a stoppé sa croisière et accosté au port de Papeete sur l’île de Tahiti. Les passagers ont pu débarquer et être rapatriés. Le jeune boulanger français et une centaine de membres d’équipage sont quant à eux toujours à bord. L’aéroport de l’île vient d’annoncer sa fermeture pour au moins quatre semaines …

Yvan est boulanger sur un navire de croisière depuis le 9 décembre dernier. Photo Y.M.

Depuis quand es-tu à bord et quel était le trajet initial du bateau ?
Yvan : « J’ai embarqué sur ce navire de croisière le 9 décembre en tant que boulanger. Une première pour moi ! Le bateau naviguait déjà depuis plus d’un mois dans les eaux polaires de l’Antarctique. En février, nous sommes finalement allés vers des eaux plus chaudes. On est passé par Ushuaïa, l’île de Pâques, l’île de Pitcairn et enfin la Polynésie. Ensuite, il était prévu de se diriger vers Wallis et Futuna, les îles Cook, les Samoa, Fidji, Vanuatu, la Papouasie Nouvelle-Guinée, Micronésie, Guam et enfin le Japon vers la fin avril. Une traversée du Pacifique d’est en ouest. »

Comment se passait le périple ?
« Très bien ! L’expérience est intense et particulière ! Les membres d’équipage travaillent absolument tous les jours. On connait les règles et on les accepte volontiers étant donné le caractère peu banal du job. Il faut trouver son rythme physiquement et avec une bonne hygiène de vie on s’en accommode très bien. Et surtout, la récompense n’a pas de prix, l’Antarctique est un endroit magique ! L’expérience est unique, je me considère vraiment chanceux d’être ici. »

Quand et comment avez-vous appris l’existence de l’épidémie de Covid-19 ?
« Comme tout le monde je crois, vers la fin du mois de janvier, en lisant les informations. Mais on y accordait une importance toute relative, c’était vraiment le tout début… Le hasard a fait que quelques jours après l’apparition du virus, le bateau a été privatisé par un groupe de voyageurs chinois pour une croisière de dix jours en Antarctique afin d’y fêter le nouvel an chinois. A l’époque, nous en rigolions car nous n’avions pas conscience de l’épidémie à venir. Mais avec le recul, on se dit qu’on a eu beaucoup de chance que personne n’ait ramené le virus à bord à ce moment-là ! »

Quelles ont été les mesures prises à bord et comment s’organise la vie depuis ? « Les premières mesures ne sont apparues que bien plus tard. Nous avons commencé à refuser les passagers en provenance de Chine ou d’Italie, ou ceux qui y avaient transité. Puis tout est allé très vite une fois que la France a été touchée et que le gouvernement a commencé à prendre les premières mesures. Nous avons d’abord appris que la direction avait suspendu toute les relèves d’équipages jusqu’à nouvel ordre. Et plus tard que les croisières allaient être suspendues pour une durée indéterminée et que tous les passagers et membres d’équipage allaient être rapatriés au plus vite. La vie à bord n’a pas beaucoup changé excepté pour l’équipe médicale, c’est à dire un docteur et une infirmière. Chaque jour, ils faisaient des prises de température de toutes les personnes à bord, passagers et équipage. Et évidemment nous n’avons plus fait d’escale terrestre après avoir quitté l’île de Pâques le 16 mars. »

« On ne peut pas aller en ville pour éviter de ramener le virus à bord »


Depuis, comment gères-tu la situation psychologiquement ? Quelles sont les réactions autour de toi ?
« L’ascenseur émotionnel est assez impressionnant vu les nouvelles et infos que nous recevons de la direction au jour le jour. Mais aussi étant donné le flou juridique que représente un bateau en eaux internationales. Chaque pays peut décider de fermer ses ports à n’importe quel moment et pour tous les bateaux. On peut vite se retrouver sans nulle part où débarquer. Certains navires de la compagnie se sont retrouvé à devoir naviguer jusqu’en France depuis l’Afrique du Sud avec les passagers, car il n’y avait plus d’autre solution. Heureusement pour nous, nous naviguions à proximité de la Polynésie Française qui, après avoir décidé de fermer ses ports, a fait une exception pour notre bateau car sommes sous pavillon français. Évidement, tout cet inconnu génère beaucoup de stress, de questionnement et de frustration. La plupart des gens autour de moi cherchaient à avoir des réponses. Et n’en trouvant pas, ils se sont retournés contre la direction en pointant du doigt la gestion de la crise. Ces dernières semaines ont été particulièrement tendues à bord, tant pour les passagers que pour l’équipage. »

Après plusieurs semaines en Antarctique, le bateau est descendu vers des eaux plus chaudes.
Photo Y.M.

Quelles nouvelles de l’extérieur avez-vous ? Peux-tu être en contact régulier avec ta famille par exemple ?
« Nous suivons l’avancement de la pandémie et le confinement des différents pays de près, avec les sites d’informations classique et France 24 que nous diffusons sur le bateau. L’accès au wifi était limité à une heure par jour pour les membres d’équipage avant la crise. Mais la direction, consciente des enjeux et de la nécessité pour chacun d’avoir des nouvelles de sa famille et de pouvoir en donner, nous en accordait ensuite deux heures par jour. Et depuis que les passagers ont débarqué, on a un accès illimité. Il n’y a donc aucun problème pour se tenir informer, communiquer et donner des nouvelles à nos proches. Ça aide !  »

Vous êtes aujourd’hui à Papeete, vous allez donc pouvoir débarquer ?
« Papeete avait accepté de nous accueillir sous certaines conditions. À commencer par le respect des quatorze jours de quarantaine depuis notre dernière escale, ce qui nous rendait au 24 mars. Les passagers ont été débarqués le 27 mars et certains membres d’équipage aussi. Ils ont été rapatriés dans leurs pays respectifs. Pour le moment, nous ne pouvons pas encore tous débarquer. Il reste à bord une centaine de membres d’équipage. Et nous venons tout juste d’apprendre, ce 30 mars, que l’aéroport de Papeete ferme pour au moins quatre semaines. Nous ne pourrons donc pas être rapatriés dans nos pays… »

Vous allez donc rester à bord du bateau en attendant de pouvoir rentrer ?
« On ne va pas avoir le choix, oui. Je ne suis pas prêt de rentrer en Alsace ! Et on va devoir s’occuper comme on peut. Depuis que les passagers ne sont plus à bord, on a le champ libre pour profiter du bateau. J’ai notamment organisé une initiation à l’apnée dans la piscine pour les membres d’équipage ! On a un périmètre d’environ 300 mètres sur le ponton, on y a installé un terrain de basket et un terrain de football. Mais on ne peut pas aller en ville pour éviter de ramener le virus à bord, car le bateau est sain jusqu’à présent. On a aussi largement de quoi manger, j’ai rempli les congélateurs de pain ! Il faut maintenant prendre notre mal en patience… « 

Propos recueillis par Gaëlle KRAHENBUHL

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