C’est le plus vieux camp de réfugiés de Bethlehem. Établi en 1948, Aida abritait à l’origine 2 000 personnes. Aujourd’hui, ils sont près de 6 000 à vivre là, au pied du mur de séparation entre la Palestine et Israël. Parmi eux, beaucoup sont nés ici. Une nouvelle génération coincée dans « une prison à ciel ouvert » .
La fumée du narguilé envahit la petite pièce. Une douce odeur de pomme se répand dans l’air. Ibrahim savoure la bouffée, avachi sur sa chaise. Il est 13 heures, ce dimanche 17 juin, la chaleur extérieure est étouffante. Le jeune homme et quelques-uns de ses amis se sont retrouvés chez Mohamd, comme presque tous les jours de la semaine… Il faut dire qu’ici, dans le camp de réfugiés palestiniens de Aida, à deux kilomètres au nord de Bethlehem, les heures avancent lentement. L’ennui est devenu, par contrainte, la première occupation. Aujourd’hui, cette pièce au fond de la cour ressemble à « un coffee shop improvisé » , sourit Adham. L’endroit est frais, agréable, un peu hors de la réalité. Plus jeunes, les garçons sont allés à l’école ensemble. Le camp de 66 hectares en compte deux, mises en place par les Nations Unies. Elles permettent aux enfants d’accéder à un minimum d’éducation.
« Dans la maison où je vis, il y a 33 enfants »
La bande de potes a grandi ici, « de l’autre côté » . À présent, ils ont tous 23 ans. Aucun d’entre eux n’a quitté le camp. « C’est quasiment impossible de partir » , souffle Ibrahim en grimaçant. « Certains d’entre nous vont étudier à Jéricho par exemple, mais il faut de l’argent. Et à la fin de nos études, on revient… » Il a lui-même étudié le management à l’université de Bethlehem et travaille aujourd’hui dans un supermarché de la ville. Pour la majorité, c’est surtout l’art de la débrouille. Des jobs à gauche et à droite – « il en faut au moins deux si on veut gagner suffisamment » – pour aider leurs grandes familles.
Lorsque le camp de Aida a vu le jour en 1948, 2 000 Palestiniens s’y étaient réfugiés. Aujourd’hui, ils sont le triple. « Notre génération est née ici, ça a toujours été chez nous » , note Adham. « Moi par exemple, j’ai sept frères et trois sœurs. Dans la maison où je vis, il y a 33 enfants. On pourrait presque faire une école ! « Dans les rues, la jeunesse court partout. 60% de la population de Aida a moins de 20 ans. Dehors, les garçons et les filles jouent à la guerre, se poursuivent avec leur innocence et des pistolets à billes.
Le centre de Lajee, à l’entrée du camp, a été créé en 2001 et propose chaque semaine des activités culturelles pour occuper les jeunes réfugiés. Grâce à ce centre, Mohamd avait même pu quitter le camp plusieurs fois. « Un programme avait été mis en place pour aller parler de la Palestine dans d’autres pays. On était un petit groupe et on a eu l’opportunité de voyager » , explique le jeune homme de 23 ans. « C’était une bonne expérience. Et surtout, incroyable de sortir d’ici. »
« Je rêve d’aller voir la mer »
À Aida, le conflit israélo-palestinien prend toute sa dimension. Le mur, imposant, borde le nord du camp et présente encore les stigmates de la dernière intifada : des impacts de roquettes israéliennes. Sur toute sa longueur, il est tagué par d’immenses dessins. « We can’t live, so we are waiting for death » , lit-on ici. « Stronger than the wall » , un peu plus loin. Les incursions de l’armée israélienne sont régulières et dégénèrent souvent. « Ils entrent dans nos maisons, fouillent partout. On a tous dans nos familles des gens en prison en Israël ou des personnes blessées » , explique amèrement Mohamd, en montrant la photo d’un de ses frères, touché par trois tirs israéliens à la jambe gauche, lors d’une incursion. « C’est ça notre réalité. Pour nous le mur est infranchissable, on vit sous contrôle permanent. On ne peut pas sortir d’ici. »
« En fait, on vit dans une immense prison à ciel ouvert » , relève Adham. « Vous savez quel est mon rêve ? » , sourit Ibrahim. « J’aimerais aller voir la mer. C’est ça mon rêve, la mer Méditerranée. Elle est là, dans mon pays, et je ne peux même pas y aller… »
Les conditions de vie sur le camp sont toujours difficiles. Les familles vivent entassées dans des logements précaires, certains proches de l’insalubrité. « Ce qui nous manque le plus, c’est l’eau potable » , rapporte Adham. « On nous approvisionne une fois par mois. Mais ce n’est pas suffisant, vu le nombre que nous sommes ici. » Ce qu’ils attendent ? « Que tout le monde soit libre d’aller où il veut. Qu’on ne parle plus de ce mur… » , poursuit le jeune Palestinien, conscient de la difficulté d’y parvenir. Dans la petite cour, à l’ombre des arbres, deux enfants s’amusent à remuer la terre du potager avec leurs mains. « Vous voyez, ils commencent à creuser un tunnel ! » , lance Ibrahim, avant d’éclater de rire.
G.K.