Jordanie : « Ici, on peut vivre tranquillement »

La Jordanie compte près de onze millions d’habitants, dont de très nombreux réfugiés. Pour les Palestiniens, Syriens, Yéménites, Irakiens, ce petit pays a toujours été une terre d’accueil. La famille de Eman AlYamani, 22 ans, a fui la guerre du Yémen et vit à Amman, la capitale jordanienne, depuis sept ans.

Du bas de la ruelle, une musique orientale et entrainante résonne. Un peu plus haut, à la fenêtre d’un appartement, trois jeunes filles dansent et chantent. Faraa, la plus petite, n’a pas dix ans. C’est elle, avec son grand sourire et sans s’arrêter de taper des mains, qui ouvre la porte. À l’intérieur du modeste logement, l’enceinte posée sur l’immense canapé continue de diffuser la même musique.

Faraa, 8 ans et ses cousins.

Autour, Wafaa, 15 ans, Eman, 22 ans, Faraa, 8 ans, Rayan 14 ans, et Rajaa, la mère, continuent elles, à remuer en rythme. Un ventilateur suspendu au mur apporte un peu d’air dans la pièce où la chaleur persiste. En ce vendredi soir de juillet, l’heure semble à la fête pour cette famille. « C’est notre plaisir de danser et de chanter« , sourit simplement Eman, la plus âgée. « On fait ça souvent ! Ça nous fait du bien. »

« C’était devenu trop dangereux »

Avec sa famille, la jeune fille a fui le Yémen il y a sept ans, alors que le pays était sous tension. Depuis 2014, ce dernier est accablé par une guerre civile qui aurait déjà fait plus de dix mille morts et trois millions de déplacés, selon l’ONU. « On ne pouvait pas rester là-bas, c’était devenu trop dangereux » , explique la jeune Yéménite, presque en chuchotant. « Mon oncle a voulu venir ici. La Jordanie est un pays accueillant pour ceux qui fuient la guerre. Toute la famille a suivi… C’est beaucoup mieux pour nous tous, surtout les plus jeunes » , lance-t-elle, posant son regard sur Faraa, qui n’en finit plus de rire avec les tatouages Malabar qu’elle colle sur qui veut bien tendre son bras.

Après un long périple, Eman et les quatorze membres de sa famille ont ainsi trouvé refuge en Jordanie. Aujourd’hui, ils vivent à Amman, dans ce petit appartement au confort rudimentaire. Les lits s’entassent dans les deux chambres du logement, l’arrivée d’eau fuit parfois et les fils électriques pendouillent du plafond décrépi. Peu importe, Eman et ses sœurs conservent de grands sourires sur leurs visages encore juvéniles. « On est bien mieux ici qu’au Yémen. La Jordanie est un pays sûr, on se sent en sécurité » , appuie l’aînée. Dans le salon, Faraa distribue encore des Malabars à tout le monde. La séance tatouage se transforme en fou rire général.

Eman et sa cousine.

En Jordanie, les garçons de la famille d’Eman ont fini par trouver du travail. L’un de ses cousins est boulanger, un autre travaille dans un cabinet dentaire. Les plus jeunes ramènent quelques dinars en vendant des fruits aux abords des routes. Eman reste vague sur ce que leur père est devenu. « Il est toujours là-bas, au Yémen », glisse-t-elle simplement. Ici, l’autorité masculine du clan, c’est Mhammad, l’oncle de 46 ans, le frère de Rajaa. Il vit quelques rues plus haut, avec sa femme et ses enfants.

« J’aimerais aller en Europe »

Dehors, le soleil s’est couché, et l’heure du repas approche. Ce soir, c’est chez Mhammad que la troupe s’apprête à partir. Avant de quitter l’appartement, les filles prennent le temps de se changer, de couvrir leur tête d’un voile. « On ne sort jamais sans », précise Eman, tout en nouant soigneusement le sien. Pour elle, ce sera le bleu clair… puis finalement « non, le bleu nuit ! » , souffle-t-elleprêtant une attention particulière à son allure.

Dans les ruelles sombres, la famille marche à un bon rythme. Plusieurs centaines de mètres plus haut dans ce quartier modeste et après avoir passé l’escalier arc-en-ciel, vit l’oncle d’Eman, et quelques-uns de ses cousins et cousines. La terrasse de l’appartement fait face à l’immensité de la ville. D’ici, les lumières s’étalent sur des kilomètres. Au loin, la façade d’un luxueux hôtel impose ses vifs jeux de couleur à la vue de tous. Le contraste est saisissant.

Sur la terrasse de Mhammad, c’est l’heure du repas pour Rajaa (à droite) et ses neveux.

Mhammad, 46 ans, installé sur un matelas au sol, savoure une chicha. Autour de lui, ses enfants jouent. À peine arrivées, les filles s’éclipsent en cuisine pour préparer le dîner. Car, si leurs frères ont trouvé du travail, elles, n’ont pas vraiment cette opportunité. « On reste à la maison pour s’occuper des tâches ménagères, faire à manger, ce genre de choses » , souffle Eman, guettant son oncle du coin de l’œil.

Pourtant, connectée sur les réseaux sociaux, la jeune fille de 22 ans aspire à autre chose. « J’aimerais travailler, aller en Europe, voir Paris » , confie-t-elle. « Mais c’est impossible… » Ses envies d’ailleurs sont freinées par une lourde réalité. « Les filles ne sont pas censées travailler » , explique Mhammad, posément. « Elles vont à l’école. Puis, on espère simplement qu’elles trouvent un mari. » Coincées dans un schéma qui les dépassent, Eman, ses sœurs et ses cousines se contentent de suivre le monde depuis l’écran de leurs téléphones. « On se satisfait de ce qu’on a. On a pu venir en Jordanie. C’est déjà mieux que de rester au Yémen » , relativise Eman. « Ici, on peut vivre tranquillement et on a tout ce qu’il faut. » Á côté, Faraa fait éclater une énième bulle de Malabar.

G. K.

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