L’avenir incertain des jeunes Iraniens

Port du voile obligatoire, réseaux sociaux interdits d’accès, défense de s’embrasser dans la rue, alcool prohibé… la jeunesse iranienne doit composer avec une politique stricte depuis que la République islamique a été instaurée. Mais au delà de ces règles, la nouvelle génération est surtout plombée par une situation économique inquiétante. Et un avenir incertain.

« Liberté ! » À peine la porte de la maison refermée derrière elle, et dans un mouvement rapide, Arezoo retire le voile qu’elle porte depuis le matin. Une longue chevelure sombre dégringole sur le dos de la jeune fille. Aussi vite, Arezoo se précipite dans la chambre pour enfiler un tee-shirt à la place de sa tunique encombrante. « C’est mon moment préféré de la journée ! » lance l’Iranienne de 25 ans dans un grand sourire. Avec son mari Mohammad, elle est arrivée la veille à Shiraz, dans le sud de l’Iran et loge chez la famille d’Amene, une de ses amies.

Les jeunes filles se sont rencontrées à l’université de Téhéran il y a trois ans.  À Shiraz, Amene vit avec sa mère et ses deux sœurs, dans la maison où elle a grandi. Le logement est situé sur les hauteurs de la ville, au pied des monts Zagros. Le cadre est idyllique, l’intérieur modeste mais fonctionnel. Sur le tapis persan de la grande pièce à vivre, famille et amis partagent le repas du soir. L’ambiance est joyeuse, détendue, loin des préoccupations du moment. Pourtant, « la situation dans le pays devient de plus en plus dramatique » , souffle Masi, 29 ans, la plus âgée des sœurs, en dégustant son kebab maison. « Le rial ne vaut plus rien face au dollar, la vie devient très chère et les salaires n’augmentent pas, évidemment. Au delà du manque de liberté, la situation économique est devenu notre principal souci… « 

Arezoo et Amene, 25 ans, sont amies depuis l’université.

La jeune femme travaille depuis cinq ans dans un restaurant de Shiraz, six jours sur sept. « Je n’arrive pas du tout à mettre d’argent de côté, c’est une vraie galère », soupire-t-elle. « Ici, chaque sou compte. » Le pays, sous le coup de sanctions internationales, vit une crise économique dramatique. Le rial est en chute libre, la situation inquiétante.

« Trouver un travail qui permet de vivre est un parcours du combattant »

Arezoo et Mohammad, qui vivent dans la capitale, ne sont pas épargnés par les difficultés. Master de biologie en poche, la jeune Iranienne est toujours sans emploi pour le moment. « Trouver un travail qui permet de vivre est un parcours du combattant », explique-t-elle. En Iran, le taux de chômage chez les jeunes atteint des sommets, près de 12 % d’entre eux sont sans emploi. Mohammad exerce quant à lui dans une pharmacie de Téhéran. Pour se rendre à Shiraz, à 900 km de chez lui, le jeune couple, marié depuis un an, a dû économiser « durant plus de six mois ! « , grimace Mohammad. « Gérer notre argent est un souci quotidien. Même se déplacer à l’intérieur de notre pays devient compliqué. « 
Dans ces conditions, les perspectives pour la jeunesse iranienne sont très limitées. «  Ce que j’aimerais ? Visiter l’Europe ! » confie Arezoo. « Il y a encore quelques années, cela aurait été possible, mais aujourd’hui je vois ce rêve s’éloigner… Voyager à l’étranger est inenvisageable, c’est hors de notre portée » , poursuit-elle. «  Un dollar représente plus de 170 000 rials ! Seule une classe plus aisée peut se permettre de quitter l’Iran. »

« Je ne veux pas d’enfant. Pas dans ce pays. »

Masi, 29 ans, et sa soeur Amene, 25 ans, vivent à Shiraz depuis toujours.

L’avenir n’est pas rose et Masi l’affirme :  » Dans ces conditions, je ne veux pas me marier et je ne veux pas d’enfant. Pas dans ce pays. La vie est bien trop compliquée. Je ne veux pas imposer ce contexte à mon fils ou ma fille.  » L’Iranienne pose un regard bienveillant sur sa mère, qui s’est assise sur le canapé pour se reposer. À 55 ans, la femme a le visage marqué, les traits fatigués et inquiets. « Ici, les gens vieillissent vite » , souligne Masi sans quitter sa mère des yeux. « À cause des soucis…. Elle s’inquiète pour nous tout le temps. Elle se demande comment va être notre avenir, notamment pour ma petite sœur qui a 17 ans, n’a pas terminé l’école et va devoir trouver un travail dans un pays en crise…  » Dans la petite maison shirazi, le repas est fini et une partie de cartes s’improvise…

Le lendemain après-midi, les filles ont décidé de prendre du bon temps. Un peu de shopping s’impose. « Ce n’est pas tous les jours ! » tempère Arezoo. « Mais j’aime tellement ça ! » avoue-t-elle, toute excitée à l’idée de déambuler dans le centre commercial. Là-bas, les boutiques bon marché côtoient les enseignes de luxe, accessibles pour une minorité d’Iraniens. Les amies s’engouffrent avec entrain dans une échoppe de foulards.

Arezoo et Mohammad ont économisé plusieurs mois pour ce voyage à Shiraz.

À l’intérieur, le choix est immense. Des dizaines de coloris et de motifs débordent des nombreuses étagères. Les couleurs sont parfois criardes, les dessins extravagants. Amene se verrait bien avec ce modèle rose vif. La technique pour l’essayer est maîtrisée, il s’agit de ne pas se découvrir la tête dans la boutique. « J’aime beaucoup cette couleur ! » s’exclame-t-elle finalement en se regardant dans le miroir. Sa sœur et son amie approuvent par de larges sourires. L’affaire est dans le sac pour une poignée de rials. Et le rose vif qui entoure à présent le visage d’Amene apporte un peu de lumière. À sa manière.

Gaëlle KRAHENBUHL.

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