Ce printemps, le peuple arménien s’est soulevé contre les inégalités et la corruption. Sa « révolution de velours » a abouti le 8 mai à l’élection de l’opposant Nikol Pachinian comme Premier ministre. De cette protestation contre l’ancien gouvernement, la jeunesse attendait beaucoup.
L’Arménie exulte. Ce 8 mai, peu après midi, avec 59 voix pour et 42 contre, Nikol Pachinian est élu Premier ministre par le Parlement. À Yerevan, la capitale, l’euphorie gagne la rue. Depuis la place de la République, épicentre de la révolution entamée le 13 avril, les cris de joie résonnent, des dizaines de milliers de personnes dansent et chantent leur bonheur. « Haghtanak ! Haghtanak ! » La victoire est au peuple. Le pays entier savoure ce moment historique, synonyme d’espoir pour une ancienne république soviétique rongée par la pauvreté et les injustices.
En quelques semaines, Nikol Pachinian est devenu le leader d’une nation qui voulait en finir avec Serge Sarkissian, président durant dix ans puis nommé Premier ministre en avril. « En 2015, il avait fait passer une réforme, lors d’un scrutin très controversé, visant à renforcer les pouvoirs du Premier ministre dès 2018″ , explique Ani Paitjan, journaliste arménienne. « À cela, s’ajoutent la corruption, les inégalités, les injustices… Le peuple saturait », la nouvelle génération en tête de la contestation. « Les jeunes Arméniens, contrairement à leurs parents, n’ont pas connu l’époque soviétique. C’est une jeunesse ouverte sur le monde, qui réfléchit par elle-même et refuse de trimer », poursuit Ani Paitjan. « Elle a envie de liberté. » La révolution a été portée par cette fougue. Et après plusieurs jours de révolte pacifique, de velours, la pression de la rue a poussé Serge Sarkissian à la démission. C’était le 23 avril. « Ça a été le moment fort de la révolution », raconte Alex Vanyan, 28 ans. « On ne pensait pas qu’il céderait si vite. » Le jeune Arménien, comme toute une génération, ne se reconnaissait pas dans la politique de Sarkissian.
À vrai dire, l’Arménie me manquait «
Avec un taux de chômage de plus de 20 %, beaucoup de jeunes quittaient le pays, « par dépit », souffle Alex. « Ici, les conditions sont trop mauvaises, tout le système est pourri. Même les universités sont corrompues. » Après ses études à l’Académie régionale européenne de Yerevan, — « où le président ne versait même pas les salaires aux conférenciers, qui partaient les uns après les autres », — Alex avait lui aussi choisi de prendre le large.
« J’avais trouvé un travail de programmeur à Munich. En partant en Europe, je cherchais une meilleure qualité de vie. Là-bas, on m’a donné ma chance… Mais rapidement, j’ai eu envie de rentrer. À vrai dire, mon pays me manquait. J’ai toute ma vie ici, ma famille, mes amis… Alors, je suis revenu. » Aujourd’hui, Alex attend de Nikol Pachinian qu’il « rétablisse la justice ». « Vous êtes le futur de l’Arménie ! » lançait ce dernier aux étudiants aux prémices de la révolte, faisant de l’éducation l’un de ses grands chantiers. Il avait ainsi bloqué une université au côté d’un représentant des étudiants, pour dénoncer la corruption. « Si les choses s’améliorent, nous n’aurons plus envie de partir », assure Alex Vanyan.
Cette journée est incroyable »
Hayk Yahyeyan, 23 ans, a quant à lui activement participé au mouvement de contestation. « En tant que citoyen, c’était mon devoir. Le parti républicain devait tomber. » Durant la révolution, Hayk bloquait les rues, discutait avec les policiers pour parfois « calmer le jeu », se sentait impliqué dans cette protestation. « Le peuple est le miroir de son gouvernement. Et ce gouvernement-là ne représentait plus l’Arménie. On devait sortir dans la rue. C’était inévitable », assure le jeune homme, qui attend aujourd’hui « une plus grande égalité des chances et de la justice ».
Ce mardi soir, après l’élection de Nikol Pachinian, le peuple a voulu prolonger la fête dans les bars de la capitale. Au Kond House, les drapeaux arméniens sont brandis avec fierté. Les jeunes hurlent les chansons de System of a Down, qui sonnent comme des hymnes. Ce soir, le peuple chante sa victoire. Il fait chaud et c’est le bonheur qui transpire. « Cette journée est incroyable », lance une jeune fille. « On a confiance en Nikol Pachinian, il ne nous décevra pas. Tout va changer. » S’ils savent qu’il faudra être patient, l’espoir les habite. « Dans une dizaine d’années, quand les conditions de vie auront évolué, que la justice et l’égalité seront acquises, alors l’Arménie sera un endroit merveilleux », sourit Alex Vanyan. « Ce sera même le plus bel endroit où vivre. »
G. K.